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#14 – Je suis né sous x le 9 juin 1980 à Lille.

Je suis né sous x le 9 juin 1980 à Lille. 

De mon passé pré-adoption je n’ai eu qu’un maigre dossier quémandé au conseil général du Nord en 1997. 

Né d’une mère et d’un père biologiques âgés respectivement de 16 et 18 ans, tous deux de nationalité Algérienne et vivant à Lille, je suis le fruit d’une amourette de quartier, de palier dirons-nous. J’ai décortiqué et lu le dossier un nombre incalculable de fois, avec une volonté, voire une rage de comprendre et de fantasmer leur histoire, leur manière d’avoir été séduits l’un par l’autre, et d’imaginer la fusion amoureuse qui m’a vu naître.

Les mots couchés sur papier de l’assistante sociale sur la personnalité de cette mère-enfant, frivole et insouciante, sont tellement subjectifs que cela à été très perturbant à la première lecture.
« On est en train de peindre un portrait de ma mère hyper dégradant là non ? » « En gros je suis le fruit d’un coup d’un soir ? » « Pourquoi m’avoir laissé vivre ? » « Est-ce qu’elle a pris conscience qu’elle ne me verrait plus jamais ? » « Pourquoi n’a-t-elle jamais repris contact ? » 

Que penser de cette personne, à part le fait qu’elle n’ait pas avorté, m’ayant ainsi laissé la chance d’exister et de pouvoir intégrer une famille adoptive en octobre 1980, 

après quelques mois dans un foyer de la DDASS. 

J’ai été accueilli dans une famille formidable, française et blanche, prête à me donner tout l’amour du monde et à m’offrir toutes les cartes pour évoluer d’une manière positive dans ce monde. Mère secrétaire médicale à Roubaix et père maquettiste aux 3 suisses à Croix.

Jusqu’en 1984 nous avons vécu à trois, puis à quatre après l’arrivée de ma soeur originaire de Corée du sud en 1983, lors d’une seconde adoption.

Oui, jusqu’en 1984 seulement car mon père adoptif est décédé cette année-là, face à mes yeux d’enfant désormais hanté par cette vision morbide.

Dès lors, nous avons vécu à trois contre vents et marées, unis par un amour sans limite.

Vivant dans la classe moyenne, au cœur d’un quartier populaire où vivaient les quelques familles immigrées de la ville de Leers, principalement maghrébines, ma soeur et moi durant notre enfance là-bas, avons toujours été chouchoutés par ses habitants. Que ce soit lié à nos origines ou au fait que ma mère, seule, nous éduquait d’une manière respectueuse et bienveillante, sans sourciller et sans s’apitoyer sur son sort. Même si elle sait très bien aujourd’hui, je crois, que j’entendais les pleurs ces certains soirs de souffrance, en écoutant l’oreille collée à sa porte de chambre, causés par le manque de son mari, décédé si jeune,.

La foi chrétienne a été au centre de notre petite famille dès le plus jeune âge, des baptêmes aux communions. 

Ma mère a puisé la force de ne pas craquer dans sa foi et surement aussi dans nos yeux naïfs et remplis de l’espoir qu’on nourrissait en elle. 

Nous avons grandi dans l’amour d’une famille maternelle et paternelle, croyante, qui se réunissait chaque semaine, entourés par des grands-parents très présents.

J’ai d’ailleurs passé énormément de temps chez ma grand-mère maternelle, toujours là pour s’occuper de nous car ma mère travaillait pour nous offrir une enfance riche en découverte, en voyage, en activités. Elle m’a appris l’histoire, l’esprit d’analyse, m’a tout raconté sur ses expériences durant la guerre 39-45 et m’a dit un jour une phrase qui résume tout d’elle : « La France a été faire n’importe quoi en Algérie, faut pas qu’elle vienne chouiner aujourd’hui ». On regardait des reportages sur Arte sans dire un mot parfois. Elle me traitait d’égal à égal.

Le couple formé par le frère jumeau de mon père et sa femme a également opté pour l’adoption, et nous avons vu arriver deux petits garçons d’origine sud-coréenne également, qui deviendront nos cousins entre 1982 et 1985.

Je n’ai le souvenir d’avoir appris qu’en 1986 que j’avais été adopté de parents originaires d’Algérie, de Kabylie plus précisément comme me l’indiqua plus tard ma mère. 

Cela ne sautait pas aux yeux au premier regard, malgré, plus jeune, mes cheveux blonds et bouclés caractéristiques. Du côté de ma soeur et de mes cousins, la différence 

fut plus présente de par leurs traits et leur couleur de peau.

On m’a d’ailleurs souvent dit que je ressemblais à mes parents adoptifs ! Ironie.

Bref. Les années passent, on enfouit tout ça bien que notre différence fut plusieurs fois mise en avant par des mots soit maladroits soit ciblés et malveillants provenant de personnes proches, ignorantes, ou plus éloignées, sous forme de questionnement sur ce que je vivais. On te rappelle toujours à ta différence, c’est un fait.

Par vagues, je me questionne, fantasme un pays d’origine, fantasme une vie vécue avec un père présent, puis la vie reprend ses droits et là, l’adolescence arrive.

Une période riche en lecture rebelle, et l’on essaie de revendiquer une origine par différents biais, en écoutant de la musique dénonçant les discriminations quelles qu’elles soient, provenant de différents pays, en suivant les différentes luttes mondiales et historiques.

Je suis vite devenu juste un jeune ingrat, en rébellion contre tout et tout le monde, en questionnement perpétuel, parfois invivable. Enragé en somme.« Pourquoi je vis ? » « Pourquoi je ne connais pas ma famille biologique ? « J’ai peut-être des frères et des soeurs qui pourraient me faire visiter mon pays d’origine… » « Pourquoi je ne porte pas un nom musulman ? » «  Est-ce que tout cela est vrai ? » « On me balade depuis le début ? » « C’est quoi le problème avec l’Algérie, pourquoi on m’en parle pas ? » « On n’aime pas le pays dont je suis originaire ou quoi ? »

Toutes ces questions que je n’ai jamais posées à ma mère car je ne voulais pas ajouter ça aux problèmes quotidiens. Je trouvais cela ridicule et j’avais peur qu’elle ne comprenne pas et qu’elle croit que je ne l’aimais pas alors qu’elle avait tout fait durant notre enfance pour que l’on ne manque de rien, quitte à se priver et à sacrifier sa vie de jeune femme.

Et puis la vie reprends encore ses droits et je vis ma vie, avec ce truc en moi qui ressort parfois, qui me met en rogne et hors de contrôle émotionnel.

Je crois que les valeurs de liberté et d’amour des autres qu’elle nous a inculqué auraient dû, avec le recul, me faire comprendre que j’aurais pu lui en parler.

La souffrance de ne rien avoir de plus que 3 pauvres feuilles a4 sur les détails de ma naissance et mes origines, dans un dossier tapé à la machine à écrire sont incompréhensibles par des non-adoptés. Je le sais aujourd’hui.

Mes parents adoptifs n’ont pas été préparés et formés à vivre et comprendre ce tourment intellectuel très personnel qui arrive tôt ou tard à leurs enfants, bien que ce sentiment n’arrive pas à tous les enfants adoptés que j’ai pu côtoyer jusqu’à aujourd’hui. Chose que j’ai toujours trouvé assez étrange. Ils sont là pour nous faire grandir du mieux qu’ils peuvent, une mission déjà tellement chronophage.

Jamais ne me viendra en tête cette idée abjecte déjà entendue d’avoir été l’outil exotique d’une quelconque envie charnelle et égoïste d’enfant vitrine par des parents adoptifs inconscients de l’amour sans borne qu’il faudrait déployer durant le chemin de vie. 

J’ai été victime de discriminations principalement par la police nationale. 

Contrôles, fouilles dès mon adolescence, mais lors que je fournissais ma carte d’identité, cela se détendait beaucoup plus. 

Puis en entreprise, écouter les palabres du racisme ordinaire, puérile des collègues qui ne savaient rien de moi… je me suis toujours délecté de ces propos. 

Brun, grand, barbu, caractéristiques physiques qui décident pour toi selon les endroits.

Mais un jour, j’en parle et exprime mon pedigree afin que les langues se tournent avant de parler.

Le fait d’être d’origine kabyle, dans une région marquée par une forte immigration maghrébine, m’a finalement donné les clefs d’une certaine compréhension, parfois galvaudée ou stéréotypée. Un apprentissage culturel et spirituel en solo, marqué d’échecs, de joie, de désillusions parfois, mais toujours bénéfiques. La bible et le coran côte à côte, mais ça c’est un autre sujet.

Aujourd’hui à 40 ans je sais qui je suis, un homme qui ne connaîtra jamais sa famille biologique, avec une petite fille que j’aime plus que tout et qui est la seule personne qui me ressemble, un homme qui n’a plus peur de mettre les pieds sur ses terres d’origines, la tête haute devant les regards qui parfois se disent : « Tu n’es pas vraiment comme nous mais on comprend », « Il est paumé »… mais si vous saviez comme je suis déterminé, les pieds sur terre et toujours sur la même ligne de conduite…Je suis un infiltré et cela me va, fier de ma différence, fier d’avancer et de dénoncer les discriminations que subissent mes frères, ici ou en Algérie ou partout ailleurs, bienveillant et rempli d’amour, sans jugement. Je n’appartiens à personne, à aucun sol. Libre un temps soit peu. On m’a aidé à me développer dans ce monde avec des armes telles que l’empathie, la compréhension m’amenant parfois jusqu’à pardonner l’inécoutable, l’ineffaçable, mais je n’oublie rien. Toutes ces phrases encaissées sur mon adoption, cruelles, gerbantes, pitoyables en somme. 

Je viens des montagnes n’est-ce pas ? Là où on on n’oublie rien, la mémoire vive, on avance, on travaille.

C’est comme ça, mais le chaos mental est derrière moi. Je suis en mission. Aujourd’hui la rage est positive.

Je suis chanceux d’être en vie, et de savoir qu’une personne, ma soeur, comprend et sait ce que je vis.

Aucune auto-flagellation, juste le regret de ne pas avoir exposé au grand jour ces sentiments lors d’une période sombre de ma vie. 

Je n’en veux plus à grand monde finalement, juste à quelques-uns.

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Par La Parole Aux Adoptés

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