J’ai découvert l’expression » Sortir du brouillard » sur votre page, et elle m’a beaucoup parlé. Je suis née sur le sol français d’une mère étrangère. Je l’ai toujours su, car je ne suis pas née sous X. Elle n’a jamais déclaré ma naissance et m’a abandonnée au bout de quelques mois. Enfant et adolescente, j’ai très mal vécu mon adoption. J’étais en colère. On m’a appris la chose très jeune (autour de quatre ans) et j’ai toujours pensé que c’était une erreur. A cet âge-là, la seule chose qu’un enfant comprend, c’est que ses parents ne sont pas ses parents et que ses vrais parents n’ont pas voulu de lui, point. Il n’a pas le recul nécessaire pour comprendre qu’il pouvait y avoir d’autres circonstances.
J’étais aussi en colère contre les discours que l’on entend systématiquement, lorsque l’on est adopté : entre les personnes qui font des hypothèses sur le pourquoi du comment alors qu’elles n’en savent pas plus que toi, ceux qui t’expliquent à quel point c’est une chance, ceux qui veulent absolument que tu croies que ta mère a fait ça par amour, et ceux qui te présentent presque leurs condoléances… Rien ne m’allait. La vérité, c’est que je n’ai jamais su comment je devais appréhender la situation. Il me manquait des réponses.
Devais-je être triste ou reconnaissante ? Je ne savais pas. J’étais les deux, simultanément ou à tour de rôle. En plus, je n’ai pas eu de chance dans ma famille adoptive. Violences psychologiques et physiques, maladies mentales, bref… J’ai fini par me demander si je n’aurais quand même pas eu une meilleure vie dans ma famille d’origine, précarité ou pas. Et puis, j’ai cru que l’âge adulte me délivrait. Durant environ six ans, j’ai eu l’impression de ne plus en souffrir. J’avais enfin la possibilité de consulter mon dossier d’adoption, voir si je pouvais obtenir des réponses puisque je n’étais pas née sous X, et finalement, je n’ai pas cherché. Jusqu’à cette année, où je me suis retrouvée, par hasard, à fréquenter régulièrement deux garçons originaires du même pays que moi. Ils tenaient énormément à leurs origines et je crois que j’ai fini par être fascinée par l’attachement qu’ils portaient à leur pays. Plusieurs fois, ils ont essayé de tester mon propre sentiment d’appartenance, me forçant, du coup, à m’interroger moi-même. D’un côté, je ne parlais pas un mot de la langue, je n’avais jamais été dans ce pays, et pourtant, je ne pouvais nier ce lien… Il s’agissait du seul élément qui m’affiliait à ma vie » avant l’adoption « . C’était les seuls vestiges que j’avais de mon passé, et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas les ignorer. J’en suis même arrivée à tomber amoureuse d’un de ces deux garçons, et je suis quasiment sûre que c’est arrivé, au moins en partie, parce que j’avais enfin l’impression d’avoir trouvé quelqu’un qui me réconciliait avec mes origines. A tel point, en fait, qu’il y a quelques mois, j’ai fait une demande de consultation de dossier. A l’intérieur, j’ai eu des informations qui m’ont permis de remonter jusqu’à ma famille d’origine, dont la moitié est aujourd’hui en France, et l’autre moitié là-bas. J’ai notamment deux sœurs qui s’y trouvent encore et que j’irai prochainement visiter si tout va bien. Je crois que c’est donc cette année que j’ai commencé à sortir du brouillard. Je n’ai pas fini, mais c’est en bonne voie. L’élément déclencheur fut sans doute ma rencontre avec ces deux compatriotes qui m’ont contaminée avec leur passion pour ce pays qui nous liait. Moi qui n’avais jamais noué de liens vraiment forts avec ma famille adoptive, qui m’étais toujours sentie un peu seule, à part, voire même apatride… Ils m’ont donné envie d’aimer ce pays. Et à travers lui, j’ai trouvé la motivation de remonter jusqu’à ma famille biologique. La question que je me pose, maintenant que j’ai mes réponses, que j’ai enfin trouvé des personnes qui me ressemblent (je suis le portrait craché de ma sœur aînée et de ma mère), c’est : est-ce que le syndrome de l’abandon que j’ai développé depuis l’enfance, qui me force à fuir l’attachement, l’engagement, car j’assimile l’amour à l’abandon, va ne serait-ce qu’un tout petit peu s’estomper ? S’apaiser, tout du moins. Je l’espère. En tout cas, c’est la première fois depuis que j’ai débuté ma vie amoureuse que je me sens à ma place dans une relation. Mon copain m’a soutenue dans mes démarches, il m’a informée à chaque étape sur les coutumes, les traditions, les mentalités… Il a eu peur pour moi par rapport à ce que j’allais découvrir, mais il n’a jamais essayé de me dissuader, il m’a fait des traductions, et surtout, il est la première personne, en France, qui ne m’a pas fait complexée sur mes caractéristiques physiques » typées « . Parce que pour lui, elles étaient simplement normales, banales. Et j’ai compris à quel point en constatant que ma mère et ma soeur avaient les mêmes. De ce fait, j’espère que j’arriverai à récupérer un peu de stabilité affective avec cette sortie de brouillard, car j’aimerais ne pas tout saboter, pour une fois.
Je crois que je commence à trouver ma place – familialement, sentimentalement, et surtout, dans ma propre tête. Le chemin sera peut-être encore long et laborieux, mais j’ai quand même bon espoir.